Capture instantanée [Jin Ah.]

« La vie est un long fleuve tranquille », quel est l’idiot qui a osé bercer lui et des milliers de personnes avec une phrase aussi idiote ? J’aime me dire que la vie vaut la peine car c’est en effet le cas. Mais il faut arrêter de déconner à certains moments. Bercer le monde d’illusions n’a aucun intérêt. La vie n’est pas facile. La vie est compliquée, semée d’embuches. Mais c’est ce qui fait qu’elle vaut la peine d’être vécue dans la mesure où on se donne des buts et qu’on doit les atteindre. Si on obtenait tout facilement et que la vie était un long fleuve tranquille, on se ferait franchement chier au bout du moment. Enfin bref. C’était le petit coup de gueule de la soirée. Je crois que j’ai besoin de m’aérer l’esprit. Je suis debout depuis deux heures du matin, il est 18 heures. Je pense que je comme légèrement à péter mon petit plomb. Dans ce genre de moment, je commence à me poser des questions sur la vie, sur les choses et surtout que je réfléchis sur un peu tout et n’importe quoi. Il ne vaut mieux pas être dans mes pensées, dans ces moments-là.

Je récupère ma veste en cuir sur ma chaise et l’enfile par-dessus mes vêtements. Il ne fait pas froid encore mais je préfère prévenir que guérir, ne sachant vraiment pas jusqu’à quelle heure je vais bien pouvoir errer dans les rues de la ville. Je vérifie ma tenue dans le grand miroir de ma chambre. Je suis vêtue d’une robe blanche d’été, dos nu avec quelques touches de rouges sur la robe, collant à ma peau jusqu’à ma taille puis s’écarte légèrement pour faire des volants. Elle finit juste au-dessus des genoux. On se met en mode été, normal quoi. J’enfile des talons rouges puis récupère ma petite sacoche avant de quitter ma chambre. Je traverse Sunae rapidement et quitte l’agence, prenant un bon bol d’air. Dans ce genre de moment, je ne sais pas vraiment où je vais. Je visite simplement, mon appareil photo à la main. A la recherche de nouveaux souvenirs même si c’est mon pays natal. On ne connaît jamais assez bien un pays. Toute sortie est sujette à découverte, c’est mon crédo.

J’hume l’air qui se dégage de la ville. Pas aussi pur que en campagne, mais c’est déjà mieux que lorsque tu es enfermée dans un même endroit trop longtemps. A la fin, tu en as juste ras le bol et tu risques de péter un bon câble. Après, je ne parle qu’en mon nom quand je dis ça. Mais, par exemple, j’adore la danse. C’est une passion, si je pouvais, je ne ferais que ça. Mais si tu passes des heures à t’entrainer sans relâche, dans la même pièce, sans pause. Cela risque juste de te dégouter. Pour moi, il faut prendre le temps de respirer. Je ne veux pas risquer de perdre ma passion car j’aurai passé trop d’heures à travailler. 12 heures de danse par jour, ça me va. Plus, je pense que cela finit par t’épuiser physiquement mais aussi psychologiquement. Après, cela reste mon avis. Mais vous ne pensez pas qu’il y a une part de vérité dans ce que je dis ?

Je m’arrête devant une fontaine dans la rue et la prend en photo, souriant doucement. Je suis plutôt mature, mais pour certaines choses, je suis une vraie gamine dans l’âme. Et voilà un de mes petits pêchés d’enfants, les fontaines. J’aime m’amuser dedans. C’est idiot, mais chaque a sa particularité. L’eau n’est jamais la même et se renouvèle sans cesse. J’aime beaucoup la tradition qui consiste à jeter une pièce de monnaie et de faire un vœu. C’est idiot, ça ne marche pas, mais j’aime le faire. Chaque fontaine a son histoire. Et pour moi, cela a surtout une image symbolique. C’est un peu comme un renouveau, pour te dire que la vie continue. Après, ça c’est comme tout, chacun accroche sa symbolique à un objet. Je viens de vous confier la mienne concernant les fontaines. Je compte sur vous pour ne pas la répéter. D’accord ? Je prends plusieurs photos de la fontaine et en prend même de moi avec, du moins du mieux que je peux.

Je reprends mon chemin et me balade dans la rue. Rien que ces quelques minutes dans la rue, avec la brise qui me chatouille le visage, m’ont suffi à me remettre d’aplomb. Je pense que je pourrais courir un petit marathon là. Je continue d’avancer tranquillement et tombe sur une jeune femme en face de moi. Blonde, le teint clair, habillée de façon originale. Je souris et m’avance vers elle, m’inclinant poliment.

- Bonjour, excuse-moi de te déranger. J’ai une petite tradition qui consiste à me prendre en photo avec des personnes dans un pays pour me rappeler de la diversité. Je peux ? S’il te plait ?

Bingo. Elle va surement me prendre pour une folle. Bienvenue dans mon monde.

Journée épuisante, mais agréablement épuisante. Passer tout un après-midi avec des amies à faire les boutiques et dévaliser les rayons m’a rappelé combien elles me manquaient. J’ai eu l’impression de revivre ma première année au lycée. Oui, je suis un peu d’humeur nostalgique, je dois bien le reconnaître. Enfin, ça m’a fait réellement du bien de les retrouver. Club des cinq réuni au complet après plus d’un an de séparation. Il y a plus de dix huit mois, on s’est toutes dispersées en quête de réaliser notre rêve. Hyun Ah est entrain d’alimenter ses connaissances en matière de stylisme, Victoria explore les débouchés du côté des langues sachant qu’elle parle l’anglais couramment après avoir passé quelques mois dans son pays d’origine les États-Unis et qu’elle s’attaque au chinois, et Jung Ah s’affaire dans la comptabilité, succédant à son père pour prendre la tête de son entreprise d’ici une dizaine d’années. Quant à MinAh, elle se voue à la vocation qu’elle s’est promis de correspondre depuis adolescente : devenir avocate travaillant à son compte. Cette sortie au centre commerciale a eu l’effet d’un bol d’air frais sur nous cinq. Quel plaisir de voir que des sourires familiers soient toujours présents sur chacun de leur visage ! Ces retrouvailles valaient le coup. J’ai besoin de décompresser, et elles aussi sans doute. Le shopping est un passe-temps que nous avons en commun depuis que nous nous connaissons, alors c’était l’endroit idéal pour relancer une sortie entre nous. Ce n’étaient que cinq pauvres heures dans une journée, mais c’étaient également les plus agréables depuis environs un an et demi. Inoubliables, en un mot.

Je porte mon regard sur les trois sacs que je trimballe désormais. Je ne me suis pas privée pour les achats, je me promène telle une fashionista dans la rue. Où est le problème ? Dépenser autant d’argent ne posera de soucis à personne dans mon entourage. On m’a bercé et élevé dans une demeure comparable à un manoir. Des centaines de milliers de wons, ce n’est pas ce qui manque chez mes parents. Bien entendu, le statut social influence les relations que j’ai avec les gens. Mes proches sont certainement aussi riches que moi, si ce n’est plus. Avoir un père procureur et une mère en médecine aide à accéder à certains privilèges. Ma carte de crédit n’arrivera jamais à expiration, j’aurai toujours du fric dessus, quoique je fasse. Issue d’une famille connue, plus qu’aisée et aimante, évidemment ça fait des jaloux. Mais, la plupart du temps, ce sont des éloges que je reçois des autres, puis je vis pleinement entourée de ceux que j’aime. C’est comme ça que je croque la vie à pleines dents, en profitant de chaque instant qui m’est donné avec mes proches, par là j’entends ma famille locale mais aussi celle à l’étranger, à Singapour. On en discutera une autre fois. J’ai tellement à dire sur cet après-midi indescriptible, palpitant et trop court à mes yeux.
Nous avons doré au soleil sur la place principale, assises sur la somptueuse fontaine sur les coups de treize heures avant de s’emparer du centre commerciale et de ses trésors. Revivre nos folies d’adolescence est comme une pâtisserie qu’on retrouve de notre enfance. On la savoure le plus longtemps possible, sachant qu’on ignore quand est-ce que l’occasion se représentera. Ma filière en mannequinat va exiger beaucoup de mon temps libre, et l’emploi du temps des filles sera aussi chargé à l’avenir. Autant vous dire qu’on s’est donc bien lâchées. Aucun magasin de vêtements et de chaussures à été épargné. Des essayages pas glorieux, des fous rires, des massacres de Britney Spears, en rappel des merveilleux souvenirs pendant notre âge insouciant. En fait, je n’ai pas beaucoup grandi dans ma tête. Suffisamment pour paraître professionnelle, mais c’est tout. Womanizer et Gimme More chantées à tue-tête dans le centre a sans doute attiré les regards, je pense que des hommes ont dû se rincer l’œil. Je suppose que vous savez où je veux en venir. Elles n’ont pas changé si on s’en tient à nos délires, et ça me fait vraiment plaisir de constater qu’on est toujours sur la même longueur d’ondes, qu’il s’agisse du partage, des bêtises et même des repérages. Le lèche-vitrine ne fonctionne que pour les vendeurs, non pour les articles, chez nous, et on nous rend bien la pareille.

En bref, j’ai cru renaître avec cette journée. A présent, je vais pouvoir poursuivre ma voie sans regret. Nous avons pu aussi discuter sérieusement entre nous, et je n’ai pas de soucis à me faire concernant leur objectif à atteindre, elles vont réussir tout autant que moi. Il est l’heure de rentrer à Sunae. Le père à Victoria m’a déposé dans une des rues d’Haeundae. Les trois sacs supportés par mes bras, j’avance d’humeur enjouée comme je ne l’ai pas encore été dès mon intégration à Sunae. Je contemple mon reflet en m’arrêtant devant une vitrine d’un magasin en cours de fermeture. Mon peu de maquillage n’a pas coulé, mes cheveux sont coiffés et j’ai bonne mine. Ce qui veut tout dire, n’est-ce pas ? Je respire la joie de vivre en début de soirée.

Je sillonne les rues, songeuse avant d’être interpelée par une étrange jeune femme. Bien familière, il me semble l’avoir déjà croisé mais où exactement… Je finirais par le savoir. Elle s’incline et me demande une photo avec elle. Singulière manière d’aborder quelqu’un. Le fait qu’elle soit venue vers moi doit se justifier par mon accoutrement extravagant, original et un peu provocant sur les bords. Je lui souris en retour. Pourquoi pas ?

- Pas de problème !

Je l’invite à me rejoindre, posant mes sacs au sol et prend la pose, ne me souciant de rien ni de personne.

J’attends sa réponse patiemment. Déjà, son visage ne laisse pas présager le fait qu’elle va me renvoyer sèchement. C’est déjà cela de gagner. Elle n’a pas non plus l’air d’être choquée face à ma certaine familiarité envers elle. J’avoue que j’ai tendance, notamment du fait de mes voyages à l’étranger, de parler même aux inconnus en utilisant le tutoiement. J’avoue que j’oublie un peu les manières que j’use ici par habitude. Mais je me voyais mal sur le coup, lui dire « vous » alors qu’elle est surement plus jeune que moi de quelques années. Enfin, me semble-t-il. Bref mea culpa, la faute est mienne. J’espère que cela ne la dérange que j’use du tutoiement alors que l’on ne se connaît ni d’Eve ou d’Adam. Je suis dans ma journée, utilisons des expressions de vieux. Vous trouvez que cela craint ? Moi, je trouve cela poétique et beau. Utiliser des expressions d’une autre époque. C’est une petite habitude –un défaut ?- que j’ai. Je ne suis pas très à la mode pour les expressions. Par exemple, utiliser le mot « swag » à toutes les sauces, très peu pour moi. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris qu’elle était le réel sens de ce mot encore. La jeune inconnue devant moi finit par me rendre mon sourire. Bon signe, vous ne pensez pas ? Elle finit par entrouvrir les lèvres et me répond simplement, à sa manière :

- Pas de problème !

Elle semble même enthousiaste de le faire. Parfait, j’adore déjà cette fille et je dois admettre qu’elle a un certain charme. Faut dire ce qu’il est, elle est loin d’être vilaine. Elle est même plutôt canon. Le corps élancé. De longs cheveux blonds qui lui apportent une certaine extravagance. J’adore tout simplement. Un style qui change un peu, qui allie gout et finesse. Un style ni trop chargée ni trop fade. Je suis un peu en train de trop m’étendre sur la beauté de cette belle jeune femme. Je ne vais pas louper une occasion de prendre une photo avec une si jolie femme. Mon but premier n’était vraiment pas de la draguer. Mais maintenant que j’ai établis le contact, même après la photo, je ne compte pas la lâcher tout de suite. Pourquoi ne pas en profiter pour faire connaissance ? Elle semble intéressante. En tout cas, moi elle m’intéresse. Mais peut-être que dans son cas, c’est loin d’être réciproque. Enfin bref. Pour le moment, la question n’est pas là. Je la vois poser ses sacs. A l’évidence, elle sort d’une longue journée de shopping. Belle déduction non ? Limite, je pourrais m’engager dans la police tellement je suis douée. Blague à part. Je suis son indication et viens me place à ses côtés. Je rallume mon appareil photo et tend le bras devant moi, prenant la pause. Elle, elle est déjà en place, prête pour la photo.

- Un petit sourire.

J’affiche un sourire naturel et lui laisse quelques secondes au cas où elle veuille change de pose, ou que sais-je. Afin de ne pas la prendre par surprise. Je lance la photo en appuyant sur le bout d’enclenchement, puis en prend deux autres de plus au cas où les autres seraient ratées. On ne sait jamais. Je suis contente qu’elle ait accepté de prendre cette photo à mes côtés. Cela me fait un beau souvenir. Et ce n’est pas un prétexte. C’est une réelle tradition. J’aime garder une trace de chaque pays dans lequel je vais. Même si la Corée du Sud n’est pas qu’un pays de passage, vu que c’est mon pays natale et que je compte y rester un certain temps, je ne veux pas qu’il échappe à la règle. Je veux surtout profiter de mon retour ici pour immortaliser un maximum d’endroit. C’est réellement important de mon point de vue. Je retourne l’appareil photo vers nous deux et visionne les photos, en lui montrant en même temps. Magnifique. Maintenant que je me suis immortalisée avec elle, j’aimerai prendre une photo d’elle seule. Mais je ne sais pas comment amener la chose. Il est rare de rencontrer une personne comme ça dans les rues, puis les effets de la lumière là, sont superbes. Je range mon appareil photo. Je ne vais pas plus la déranger, j’ai déjà été assez bien impoli pour l’avoir arrêté en pleins milieux de la rue alors qu’elle n’a surement qu’une envie : rentrer après sa journée. Mais ce n’est qu’une supposition, je ne suis pas encore devin. Je porte à nouveau mon attention sur la demoiselle qui m’accompagne à cet instant précis :

- Je suis désolée, je ne me suis même présentée. Je m’appelle Ji Hyeon.

Je souris doucement puis ajoute :

Fraichement de retour en Corée du Sud.

Je bugue un moment sur ma propre phrase. Euh… Pourquoi j’ai rajouté le « Fraichement de retour en Corée du Sud » ? Aucune idée… Sérieusement, je vais vraiment finir par croire que je suis folle. Je ne sais plus ce que j’ai dit. C’est juste sorti tellement naturellement. Enfin bon, je ne dirais pas que c’est déplacé. Quoiqu’un peu en fait vu que l’on ne se connaît pas vraiment. Mais ça ne l’est pas non plus car ce n’est pas un propos que l’on peut qualifier de « déplacé ». En fait, il faut dire que quand je me sens à l’aise avec quelqu’un, je peux me montrer un peu trop bavarde. Et c’est ce qui se passe ici, je crois. Je pose mon regard à nouveau sur elle, attendant une réponse. Espérant au fond de moi-même, qu’elle restera et passera un petit temps avec moi.

- Un petit sourire.

Seulement un petit ? Immortalisons le moment comme il se doit. J’offre mon plus beau sourire pour cette photo, le regard quelque peu pétillant et la tête légèrement inclinée de son côté. Elle me laisse le temps de me positionner correctement puis enclenche l’appareil qui nous mitraille plusieurs fois. Je ne change pas de pose entre temps, et conserve mon regard fixe sur l’objectif. Une vraie professionnelle, si je ne m’abuse. L’’expression de mon regard m’est un réel atout, c’est une de mes armes de séduction également. Le genre de choses qui sont innées chez certaines personnes… Et qui l’est chez moi, sans vouloir me surestimer bien entendu. Cependant, je n’emploie pas cette clé de mon charme afin d’avoir un nombre incontestable de prétendants à mes pieds. La corruption n’est pas dans mes ficelles non plus. Je compte atteindre mes buts avec mérite. C’est une nécessité pour valider mes acquis d’entrée dans le monde où l’apparence prône avant tout le reste. Je ne suis pas une fille superficielle, mais le mannequinat est une vocation qui m’attire autant qu’elle m’inspire. Une passionnée de mode, de base, donc bon. Fille photogénique depuis sa plus tendre enfance, j’adore aussi me retrouver devant l’objectif ou les caméras. Mon avenir étant tracé, je n’ai plus qu’à avancer. Et, je ne dériverais jamais de cette trajectoire. Promesse pour mes parents, mes proches mais aussi pour moi-même. Devenir mannequin est une première chose. Être reconnu à l’échelle nationale en est une deuxième. Je vise le marché mondial à travers les médias. J’aimerais tant que ce rêve se réalise. Je m’accroche à cela depuis près de quatre ans, j’ai surmonté les rares obstacles qui se présentaient sur mon chemin, rien n’est perdu. Je suis même plutôt positive à ce sujet.

La jeune femme inconnue fait défiler nos photos sous mes yeux. Je suis suffisamment satisfaite, elles sont toutes réussies sans exception. Je souris grandement, détaillant toutes les prises du regard, avant de revenir à elle. Nos yeux se croisent et je vois apparaitre un sourire sur son visage, quelque peu embarrassé. J’attends qu’elle prenne la parole, lui souriant en retour, avec une assurance propre.

- Je suis désolée, je ne me suis même présentée. Je m’appelle Ji Hyeon. Fraichement de retour en Corée du Sud.

Je tique soudainement, en recevant ses derniers mots. Cela signifierait-il qu’elle voyage beaucoup ? J’admets l’envier pour ça, si cela s’avère vrai. Le seul endroit où j’ai pu poser le pied en dehors de la Corée du Sud jusqu’à lors est Singapour. Une île urbanisée, d’une part, et une végétation dense en plein centre-ville de l’autre. Une partie de ma famille vit là-bas, c’est ce qui m’a permis d’explorer cette « ville-jardin », qui, d’ailleurs, m’a énormément plu. Je conserve d’agréables souvenirs avec mon père et ma mère. Toutefois, j’aimerais vraiment visiter d’autres lieux. Les pays occidentaux représentent un réel et important intérêt pour moi. Des questions jaillissent dans mon esprit sur la personne se trouvant en face de moi, or pas un seul mot n’en sort à ce propos. Je la fixe, interdite, et elle fait de même. Un bref embarras s’installe entre nous avant qu’un autre sourire, avenant, orne mes lèvres. Je m’incline poliment face à elle et lui tiens à peu près le même langage.

- Je m’appelle Jin Ah, enchantée. Alors comme ça, tu voyages énormément donc ? Tu es un peu comme les nomades ? Lancé-je, avec humour avant de rire doucement.

Détendre l’atmosphère qui commence à menacer la tension pesante ne m’est pas insurmontable. C’est justement extrêmement simple, ça sort tout seul. Je reste à l’observer, le rire cristallin s’étant échappé. Elle ne semble pas offusquée par mon ton familier ni mes propos, à mon plus grand plaisir. Je reporte quelques instants mon attention sur la vitrine, ayant repéré un sac à main à la fois élégant et sobre. Je n’ai pas encore eu ma petite folie de la soirée. Ce serait l’occasion idéale, mais je me ravise, revenant à Ji Hyeon et gardant le silence. Seul mon sourire ne s’est pas dissipé, et voilà mon regard qui plonge dans le sien. A-t-elle deviné l’objet que je convoitais ? Quoi qu’il en soit, si l’envie me prend de l’acheter et pour cela de sortir mon porte-monnaie ou ma carte de crédit, je le ferai sans hésitation. Que je sois accompagnée ou seule d’ici là.

- Je m’appelle Jin Ah, enchantée. Alors comme ça, tu voyages énormément donc ? Tu es un peu comme les nomades ?

Je reconnais immédiatement un ton emplis d’humour. Elle laisse d’ailleurs échapper un léger rire juste après sa phrase. Jin Ah a répondu normalement à une phrase qui était plutôt déplacée vu notre rencontre assez nouvelle. C’est bien qu’elle aborde le sujet ainsi, ça m’évite d’avoir à sous entendre le pourquoi j’ai commencé à beaucoup voyager. Nomades. J’avoue que je n’avais jamais pensé à ça sous cet angle. Ce n’est pas réellement ça mais c’est vrai que je m’en rapproche un peu. Je changeais de pays régulièrement, tous les trois mois environ. J’enchaînai les petits boulots entre mes visites. J’ai même fait le guide touristique au Japon pour des coréens en visite dans le pays et je me débrouillai pour me faire loger chez les habitants. Le meilleur moyen de découvrir une culture est d’être en contact avec les habitants d’un pays afin de découvrir les pratiques, les normes ainsi que les valeurs. D’où ma passion dévorante pour les voyages, j’adore cela car cela nous permet de découvrir la diversité de notre monde. Pour moi, la plus grande richesse de l’homme est sa diversité. Chaque culture attache différentes significations sur des choses, même si certaines pensées traversent désormais les frontières notamment grâce à la mondialisation. Par exemple, selon les cultures et les civilisations, l’orage n’a absolument pas la même signification. C’est vraiment fascinant, d’apprendre et d’ouvrir son esprit à autre chose qu’à ce que l’on nous apprend pendant notre socialisation primaire et secondaire. Remettre tout à zéro et découvrir une population comme le ferait n’importe quel enfant qui vient de naître. Voilà que je recommence à me partir totalement dans mes pensées en me coupant du monde.

Je pose à nouveau mon regard sur elle, un silence s’est installé entre nous le temps de mon introspection. Je détaille quelques secondes son visage lorsqu’elle détourne son attention vers une vitrine. Je suis son regard avec attention et tombe sur l’objet de sa convoitise, enfin je le suppose. Je fixe les détails du sac à main, vu le design et tout ce qui s’en suit, il ne doit pas être donné. J’ai travaillé trois mois dans une boite de mode aux Etats-Unis en tant que stagiaire. Je n’ai pas appris grand-chose, mais à force d’emballer des sacs toute la journée, j’ai fini par savoir au moins repérer quand un sac est cher et quand il ne l’est pas. C’est dans ce genre de moment que le monde te ramène à sa dure réalité. Pouvoir toucher des sacs de valeurs en sachant pertinemment que tu n’auras jamais les moyens de ne t’offrir les vrais et que tu te contenteras certainement de pâle copie. Une autre chose que j’ai appris en voyageant. Mais je m’en fiche, je ne suis pas plus portée que ça sur la mode. J’achète dans des petites boutiques pas chères et cela me suffit amplement. Je ne suis pas envieuse des personnes qui peuvent s’offrir toutes ces choses, c’est tant mieux pour eux. Je souris de nouveau lorsqu’elle revient sur moi et soutient son regard. Il serait peut-être désormais temps que je lui réponde, vous ne pensez pas ? Moi je le pense car le silence qui s’est installé commence à être réellement gênant. Même si beaucoup d’informations peuvent passer par un simple regard. On peut parfois dire beaucoup de choses par un simple échange entre quatre yeux. Enfin bref, Ji Hyeon réveille toi.

- Nomades… Je souris doucement. On peut voir cela de cette façon, c’est vrai. J’adore voyager. C’est une expérience à vivre. Mais bon, un jour il faut revenir dans notre pays. Surtout si on veut réaliser ses rêves. Mais je ne compte pas rester enfermer en Corée du Sud, dès que j’aurais réussi, je compte recommencer. Cela me manque déjà.

Je suis tout un « paradoxe » parfois. Je ne dis rien pendant plusieurs minutes et ensuite, je ne peux m’empêcher de laisser échapper un gros pâté de paroles qui me fait la monopoliser face à mon interlocuteur. Je me fatigue moi-même parfois. C’est dingue. Enfin bon. On s’en fout un peu en réalité. Je m’approche de la vitrine qu’elle regardait et détaille plus attentivement le sac à main qu’elle regardait de loin. Mon regard coulisse le long des coutures parfaitement réalisées. C’est un beau travail. Il n’y pas à dire. Si c’était techniquement possible, je pense que je perdrais mon bras en voyant le prix. Cela vient de me faire penser qu’il va falloir que je me remette à mon travail. En ce moment, je donne des cours de danses à des enfants. Cela me fait un petit appoint et ça passe mieux du point de vue de l’agence. C’est sur que ce genre de travail est beaucoup plus présentable qu’un travail dans un bar en tant que barman. Mais bon, la pilule passe quand même difficilement car une trainee n’est pas censée travailler à côté. Mais quand on n’a personne pour nous entretenir, il faut bien se bouger et mon père compte sur moi. Donc je n’ai pas le choix et je ne pourrais pas me regarder dans un miroir si je le laissais se débrouiller seul dans l’état qu’il est. Mon père m’a enfanté, c’est la moindre des choses de lui rendre cela. C’est en parti grâce à lui que je suis devenue celle que je suis aujourd’hui.